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9.1 Numériser le-patrimoine photographique

9.1 Numériser le patrimoine photographique

Ce chapitre a été entièrement révisé en 2023. Il commence par les objectifs et raisons de la numérisation des photographies et rappelle la déontologie à prendre en compte lors de la planification des projets de numérisation. Il explique ensuite les bases de la numérisation des photos, avec des indications sur le choix de l'épuipement, sur les normes et standards qui définissent les exigences de qualité, sur les notions élémentaires de gestion de la couleur, de profils colorimétriques et de l'espace chromatique (avec des illustrations), sur la distinction entre les masters d'archives et les copies d'utilisation et sur la sensibilisation aux possibilités des filtres de netteté. Le chapitre se termine par des recommandations concrètes pour la numérisation de masters d’archivage opaques et de transparents : un tableau énumère les valeurs recommandées pour la résolution, l'espace chromatique, la profondeur de bit et le format de fichier.

La numérisation, étapes et objectifs

Des étapes à ne pas brûler

Numériser, c’est d’abord prendre soin. Il convient en effet dans un premier temps de préparer l’original de façon que sa numérisation permette d’en tirer tout le potentiel informationnel possible. Il faut préalablement le nettoyer, le dépoussiérer, parfois même le restaurer : la qualité est à ce prix et toute la suite du processus en dépend.

L’acquisition de l’information – scannage ou prise de vue – constitue la seconde étape. Plus les conditions dans lesquelles la numérisation est faite sont bonnes, plus celle-ci respectera l’original, et moins il sera nécessaire de procéder plus tard à des retouches, toujours discutables, ou même de devoir recommencer le travail.

La copie numérique ainsi obtenue est la « copie master » (fichier master d’archivage) à partir de laquelle seront réalisées toutes les opérations ultérieures : copies d’utilisation (dérivés), tirages numériques, publications web ou papier, etc. Cette copie « brute » doit bien évidemment être conservée avec un soin tout particulier, puisqu’il s’agit de la copie dont le contenu informationnel se rapproche le plus de l’original, et qui constitue même la copie de sécurité.

Pourquoi numériser ?

Numériser une collection ou un fonds n’est pas une fin en soi, pas plus que sa raison d’être ne saurait se limiter à la seule diffusion : l’établissement d’une copie numérique doit se faire aussi dans une perspective informationnelle.

La numérisation peut en effet être accompagnée de mesures destinées à favoriser et à développer le potentiel informationnel. L’état de l’original peut ainsi être documenté, sa description complétée et contextualisée, et le conditionnement peut lui aussi être amélioré.

Numériser, c’est finalement une excellente opportunité pour apporter de la valeur ajoutée à un original.

Au-delà de la technique, la déontologie

L’établissement d’une copie numérique s’accompagne toujours du risque de s’éloigner, volontairement ou non, de l’original. Il suffit que l’une des applications mises en œuvre soit mal gérée ou mal étalonnée pour que la copie perde en fidélité. À quoi s’ajoute la subjectivité d’un œil humain souvent tenté d’améliorer la qualité visuelle de l’original au moyen d’un outil de retouche, mais au prix d’une altération de l’authenticité.

En matière de numérisation, une seule règle doit prévaloir : le fichier master d’archivage doit être le plus fidèle possible à l’original, elle doit pour ainsi dire en être le fac-similé numérique. Cela débute par une acquisition effectuée dans les meilleures conditions possibles, avec des appareils performants et correctement étalonnés, capables d’appliquer la résolution requise par le format de l’original, avec la densité la plus étendue. L’opération doit être adaptée à la nature même de l’original, les tirages et supports transparents étant exposés de manière à respecter leur richesse chromatique.

Une fois la numérisation effectuée, le fichier photo, soit une copie brute, conforme autant que possible à l’original, doit être mis en sécurité. S’il faut procéder à des retouches –  on pense en particulier aux diapositives couleurs comme les Kodachromes, dont il est si difficile de restituer la balance des couleurs –, elles seront obligatoirement effectuées sur un dérivé (copie d’utilisation) de la copie master, en aucun cas sur le fichier master d’archivage directement. 

Des retouches peuvent également se justifier dans le cas d’une difficulté de lecture due à un état dégradé de l’original. Là encore, ces retouches ne seront jamais réalisées sur le ficher master, mais toujours sur une copie d’utilisation destinée à la publication.

Les institutions chargées de conserver un patrimoine ont notamment un devoir que nous dirons « d’honnêteté » : elles doivent présenter ce patrimoine tel qu’il est, sans en altérer l’apparence. Elles ont le devoir d’en assurer la reproduction fidèle, en particulier lorsqu’elles le diffusent.

Base de la numérisation des photos

Tirage, négatif : quel support numériser ?

La réponse n’est pas triviale, elle divise même : le tirage, sans contestation, pour les historiens de l’art, et le négatif, bien sûr, pour les archivistes, et parfois, dans le doute… les deux.

Beaucoup affirmeront que le négatif n’est finalement qu’une étape, et il est vrai que c’est le tirage, ou plus précisément l’épreuve, qui constitue la dernière des différentes étapes du procédé photographique, à l’image de l’interprétation que le musicien fait d’une simple partition. Le grain du tirage est souvent le résultat d’un choix, l’exposition portant le savoir-faire et le dessein du photographe ou du technicien chargé du développement. Donc, si le tirage a fait l’objet d’une réelle intention, c’est lui qu’on numérisera de préférence.

Il convient toutefois de considérer que, en raison de son grain particulièrement fin, le négatif contient généralement plus d’informations que le tirage. Souvent, en effet, l’image agrandie qui résulte de celui-ci ne restitue pas tous les détails du négatif. Dans une approche plutôt documentaire où le tirage n’est qu’une étape technique nécessaire visant simplement à permettre la lecture de la photographie, la priorité peut alors être donnée au négatif.

En résumé, c’est l’épreuve photographique, soit le résultat final, qu’on numérisera de préférence, sauf si elle est vue comme un simple outil de visualisation dénué d’intention particulière, auquel cas on pourra lui préférer la numérisation du négatif.

Équipements et appareils : quelle technologie utiliser ?

Actuellement, deux technologies différentes sont utilisées pour numériser des biens culturels photographiques : la numérisation et la reprographie (ou reproduction) numérique. La différence réside dans la manière de convertir l’image analogique en image numérique. La technique de la numérisation consiste à balayer l’objet ligne par ligne avec un capteur linéaire, ce qui prend plusieurs secondes ou minutes. La photographie de reproduction en revanche consiste à enregistrer l’image numérique dans son ensemble en une fraction de seconde avec un capteur de surface (chip). Les deux technologies fournissent de bons résultats si les appareils remplissent certaines conditions de qualité et que le personnel qui installe et utilise les appareils dispose du savoir-faire technique. Sans s’attarder sur des appareils ou fabricants particuliers, il convient de passer brièvement en revue les avantages et inconvénients de ces deux techniques de numérisation.

Dans les années 1990, de nombreuses institutions réalisaient encore la documentation des biens culturels au moyen de la photographie de reproduction analogique. En ce qui concerne les objets bidimensionnels, la technique de la numérisation a supplanté petit à petit cette pratique au tournant du millénaire. Les deux dernières décennies, les appareils de numérisation (scanners) et les systèmes de prise de vue n’ont cessé de progresser. Pour ces derniers, la précision des objectifs, la résolution et la taille des capteurs de surface des appareils photo numériques (professionnels) ont connu une telle amélioration que les prises de vue numériques ont atteint, pour finalement dépasser, la densité d’information des pellicules grand format présentant une grande finesse de grain. À cette époque, nos yeux aussi se sont de plus en plus habitués à la « netteté numérique ». La reproduction photographique a finalement été redécouverte pour documenter les biens culturels photographiques, et revient aujourd’hui en force grâce à l’utilisation d’appareils photographiques numériques performants. Quels appareils utiliser ? Quel moyen convient-il le mieux : la numérisation ou la photographie de reproduction ? Tout dépend bien entendu également des supports à numériser, de leur taille et de leurs propriétés. Toutefois, les scanners de pellicule ou à plat présentent en principe davantage de limites que la reprographie qui permet, moyennant les connaissances spécialisées requises, de numériser presque tous les documents photographiques bidimensionnels ainsi que ceux en relief (par ex. daguerréotypes). Un autre avantage, et non des moindres, de la reprographie est la rapidité de capture de l’image nettement plus grande. Cet aspect peut être primordial lorsqu’il s’agit de traiter de grandes quantités. Les coûts d’acquisition de l’équipement constituent un inconvénient de la reprographie. Le respect des Recommandations Memoriav requiert un appareil photo (si possible professionnel) équipé d’un capteur d’au moins 50 mégapixels. Le savoir-faire photographique et technique nécessaire pour l’installation d’un tel système de reproduction représente également un obstacle. Établir un flux de travail pertinent et réaliser les travaux de numérisation ou au moins former le personnel sont des tâches qui devraient résolument être confiées à des spécialistes. En cas d’utilisation non professionnelle d’un équipement de reprographie, la source d’erreur est plus élevée que pour l’usage d’un scanner. Dans les deux cas, il est cependant indispensable de s’intéresser quelque peu à la gestion des couleurs et d’étalonner les appareils afin que les photographies analogiques soient converties en images numériques avec des valeurs tonales et chromatiques aussi fidèles que possible (cf. sous-chapitre Gestion de la couleur ci-bas).

Exigences qualitatives pour l’image numérique, normes et standards en matière de données

La photographie analogique et sa copie numérique sont deux supports visuels radicalement différents qui sont donc que difficilement comparables. Néanmoins, en ce qui concerne la numérisation des biens culturels, il existe un consensus selon lequel l’information d’image du document original doit être convertie en un fichier visuel numérique de la manière la plus adéquate possible et en fonction du média utilisé. Il faut utiliser à cet effet un espace colorimétrique suffisamment grand. Par ailleurs, il convient de choisir la résolution de sorte à respecter la richesse de détail de la pellicule, la densité de pixels ne doit donc pas être inférieure au grain de la pellicule en question. L’image numérique, c’est-à-dire le fichier master numérique, ne doit pas être améliorée en termes de qualité (par ex. par des retouches, des filtres ou des corrections de couleur), et aucune dégradation de la qualité de l’image ne doit être visible en raison d’une numérisation insuffisamment soignée (par ex. flou, pixels visibles, moiré, utilisation d’espaces colorimétriques insuffisants, etc.) Un tirage noir-blanc d’époque (ou vintage print) aux dimensions de 21 x 30 cm (A4) devrait pouvoir être visionné à l’écran et imprimé dans sa taille d’origine, sans pixels visibles. Pour obtenir ce résultat, une résolution de 300 ppp (pixels par pouce) est requise sur la taille originale. À une distance d’observation normale d’environ 30 cm de l’image, notre œil ne peut donc pas percevoir de trame. 300 dpi (dots per inch) est également un standard usuel dans la branche de l’imprimerie. Il est à noter que la résolution indiquée n’est pertinente que si l’information sur les dimensions de l’image numérique est également disponible (par ex. 300 ppp, longueur : 30 cm). Cette exigence minimale pour la résolution de documents de taille moyenne peut bien entendu être dépassée si on dispose d’un peu de marge de manœuvre pour la représentation ou l’impression des données de l’image. Cela est particulièrement recommandé pour les photographies de petit format (<A5). Avec les très grands formats, que l’on travaille avec un scanner ou un système de reprographie, on est tôt ou tard confronté à la limite où il n’est techniquement plus possible d’enregistrer à la taille originale avec 300 ppi (pixel per inch). Il est par conséquent légitime de relativiser l’exigence minimale de 300 ppp à partir d’un certain format.

Il en va autrement pour les supports d’images transparents comme les négatifs et les diapositives étant donné que ces originaux n’étaient pas destinés au visionnement dans leur taille et apparence d’origine. À l’époque analogique, les dias étaient projetées, entraînant un agrandissement de l’image (blow up) qui, suivant la température de couleur et l’intensité de la source lumineuse, avait pour conséquence de décaler les valeurs chromatiques et tonales. À partir des négatifs, des agrandissements étaient réalisés en laboratoire couleur (également par projection lumineuse) pour inverser et interpréter l’image (inversion des valeurs tonales, adaptation de la luminosité et du contraste). Les réflexions sur la résolution de ces supports d’image transparents partent donc du principe que les images peuvent être utilisées dans des formats nettement plus grands. Le facteur de l’agrandissement se fonde ainsi sur la résolution de l’image de la pellicule (finesse du grain), sur les possibilités techniques des systèmes de prise de vue ainsi que sur la taille visée pour les copies d’utilisation imprimables.

Que ce soit pour des documents opaques (tirages, procédés permettant de produire des pièces uniques) ou des supports transparents (négatifs et positifs sur verre ou sur pellicule), il n’est possible d’atteindre la restitution colorimétrique et tonale obligatoire qu’en étalonnant (calibrant) les systèmes de prise de vue (cf. chapitre X.X). Il convient de préciser ici que tous les documents photographiques sont numérisés dans l’espace colorimétrique RVB. Les tirages et négatifs noir-blanc ont également une coloration qui doit rester lisible même s’il s’agit de jaunissement, d’altération des couleurs ou de taches. Lors de la numérisation de documents opaques, il est en outre recommandé de reproduire également une charte de couleur et une échelle de gris afin que le fichier visuel contienne une référence de couleurs et de tailles. Pour les supports transparents, il n’existe malheureusement pas de possibilité réalisable d’accompagner le fichier numérique d’une telle référence. Cette question de référence est aussi un peu plus complexe puisque dans le cas de diapositives par exemple, la température de couleur et l’intensité de la lumière lors de la projection devraient être considérées. Pour simplifier, il faudrait utiliser une source de lumière neutre (5000 kelvins) lors de la numérisation de négatifs et de dias. Avant la numérisation, les valeurs chromatiques et tonales peuvent néanmoins être vérifiées au moyen d’une mire pour film (voir ci-après illustration avec le tableau de référence des couleurs).

Les Recommandations Memoriav en vue de garantir la qualité de l’image pour les différents supports et formats se basent sur ces réflexions sommaires. Ces recommandations peuvent varier de manière justifiée selon les différents objectifs de numérisation fixés par chaque musée, archive ou collection. La décision de numériser avec des exigences de qualité encore plus élevées, notamment, ne se heurte à aucune objection sous réserve de disposer de l’espace de stockage nécessaire dans les archives numériques. Il est toutefois déconseillé d’opter pour une qualité inférieure à l’original en ayant à l’esprit un seul usage spécifique. Une devise largement répandue dans le contexte de la numérisation de biens culturels photographiques est donc la suivante : « Numériser une bonne fois pour toutes dans les règles de l’art ! ». Les émulsions photographiques et supports analogiques sont fragiles et les informations d’image peuvent même être irrémédiablement perdues, notamment dans le cas de négatifs en acétate de cellulose et nitrate de cellulose. Lors de la constitution d’archives numériques à long terme, il faut également tenir compte du fait que les utilisations ultérieures de l’image ne sont peut-être pas encore définies. Un autre critère est le fait qu’une grande part du budget de projets de numérisation est constituée par les heures de travail proprement dites et non par les appareils ou le stockage des données.

La stratégie du « une bonne fois pour toutes dans les règles de l’art » présuppose naturellement que la longévité des données visuelles est garantie. Il est par conséquent d’une grande importance que les responsables d’archives visuelles numériques réfléchissent aux normes et standards concernant leurs données et que ces normes et standards soient respectés si possible dans l’ensemble des collections. Cette manière de procéder représente un avantage justement en ce qui concerne l’obsolescence des formats de fichiers et autres paramètres de l’image numérique (espace de couleur, compression, etc.). Il existe des recommandations émanant de différents centres de compétences concernant la longévité des données visuelles. Si un format de fichier ou aussi un espace de couleur utilisé devait devenir obsolète en dépit de la conformité à ces directives, les grandes collections visuelles qui respectent une norme ou un standard unique peuvent faire l’objet d’une migration relativement simple et il est en outre plus facile de garder la vue d’ensemble.

Gestion de la couleur

La reproduction numérique vise à obtenir la restitution fidèle à l’original du document dans un fichier numérique qui est conservé à long terme et à partir duquel il est possible d’établir des dérivés pour un usage particulier. Les lignes ci-après expliquent ce que Memoriav entend par fidélité à l’original et comment mesurer la qualité de l’image à l’aide de critères clairement définis. Ces explications servent également lorsque la numérisation est confiée à un prestataire externe et qu’il faut vérifier les fichiers visuels qui en résultent.

Ill. 1: Création de profils colorimétriques. Image: E. Kreyenbühl

La clé d’une reproduction la plus fidèle possible à l’original réside dans la gestion de la couleur qui génère également la restitution correcte des valeurs tonales. Comme les systèmes des appareils photo et des scanners vendus généralement dans le commerce ne sont toutefois pas destinés en priorité à restituer les tons et les couleurs en respectant l’original, mais génèrent au contraire des images multicolores et pleines de contrastes, ils doivent être réglés de sorte à restituer la luminosité de manière aussi linéaire et les couleurs de manière aussi exacte que possible. Le profil de tous les appareils de la chaîne de traitement devrait être réglé ainsi, en particulier l’écran et l’imprimante. Des spécialistes expérimentés devraient créer les profils. Chaque personne impliquée dans le processus de numérisation doit cependant savoir que le système de prise de vue étalonné ne peut conduire à de bons résultats que dans certaines conditions générales. Un profil destiné aux documents opaques ne peut par exemple pas être utilisé pour des documents transparents. Cependant, même des modifications à peine perceptibles, comme un changement de lumière ambiante ou de la source lumineuse d’un scanner après quelques heures d’utilisation, peuvent avoir un effet négatif.

Connaissances de base en gestion de la couleur

Le principe de base en matière de gestion de la couleur est relativement simple à comprendre : la couleur est le résultat de la lumière et d’une surface qui réfléchit cette lumière. Le postulat de départ est que la source lumineuse est toujours la même. Pour étalonner, on crée une image numérique d’un tableau de référence des couleurs dont les valeurs colorimétriques (résultat de la source lumineuse et de la surface) sont connues. Un logiciel compare les valeurs de la prise de vue avec les valeurs cibles enregistrées et optimise les données des capteurs jusqu’à ce qu’elles se rapprochent le plus possible des valeurs cibles. Le résultat donne une sorte de « recette de cuisine » pour la conversion des données de capteurs qui est ensuite enregistrée en tant que profil de l’appareil photo (fichier .icc). Toutes les reproductions ultérieures seront créées en suivant cette « recette de cuisine ».

Restriction concernant les négatifs couleur et noir-blanc

Aussi bien pour les négatifs en noir-blanc que pour les négatifs couleur, l’objectif de fidélité à l’original ne peut pas être poursuivi par la gestion de la couleur décrite ci-dessus. Les négatifs en noir-blanc peuvent présenter une grande densité. Il faut donc respecter une restitution linéaire des valeurs tonales.

Établir un profil pour les négatifs couleur n’a pas beaucoup de sens étant donné que le masque orange du support varie d’un matériau à l’autre et qu’il ne serait pas possible d’obtenir des résultats constants par la création de profils. Pour les diapositives en couleur de dernière génération (à partie de 2000 environ), il existe encore parfois des mires IT-8 (voir ill. 2f) qu’il est possible d’acquérir pour créer des profils. Pour cette opération, il faut veiller particulièrement à créer les profils des dias Kodachrome avec des mires IT-8 sur émulsion Kodachrome. Pour les autres diapositives sur d’autres pellicules, il y a certes également des différences, mais des profils génériques permettent également d’obtenir de bons résultats.

Contrôle permanent de la qualité de l’image

Étant donné que toute une série de facteurs influence la qualité de l’image obtenue, cette qualité doit être contrôlée en permanence. D’une part, la performance du système de prise de vue fait l’objet de contrôles réguliers (quotidiens, hebdomadaires) et, d’autre part, le résultat de chaque numérisation peut être contrôlé individuellement à l’aide de mires de couleurs. Dans le cas de documents opaques, donc de tirages, le document est accompagné d’une mire colorimétrique étroite numérisée avec un léger espace.

On utilise des tableaux de référence en plein écran pour vérifier la qualité d’enregistrement des appareils. Ils permettent de contrôler d’autres paramètres qualitatifs de l’enregistrement de l’image tels que : piqué ou acutance, distorsions géométriques, taux d’échantillonnage, netteté excessive, exactitude des couleurs, défauts d’enregistrement (bruit, artéfacts) et uniformité de l’éclairage.

Ill. 2a: Tableau de référence plein écran pour contrôler le système de prise de vue. Toutes les images: E. Kreyenbühl

 

Ill. 2b: Petit tableau de référence « object level target» pour informer sur la taille de l’original, la restitution colorimétrique et tonale et la netteté. Cette mire existe en différentes tailles et peut être posée à côté de l’objet et numérisée avec.

 

Ill. 2c: Charte de couleur ColorChecker SG pour créer des profils de couleur dans le cas de documents opaques et pour contrôler le rendu des couleurs.
Ill. 2d: Mire de format standard pour la numérisation de négatifs en noir et blanc. Ceux-ci existent en petit, moyen et grand format (4x5”).
Ill. 2e: Mire colorimétrique normalisée IT-8 : existe comme document transparent et opaque pour créer des profils de systèmes d’appareils de photo ou de numérisation.
Ill. 2f: Mire IT-8 au format réduit de diapositive (35 mm).

Normes et standards dans la reproduction et le contrôle des couleurs

En ce qui concerne la reproduction de documents opaques, deux standards comprenant un ensemble de critères de mesure et de valeurs de tolérance sont apparus ces dernières années. La Bibliothèque nationale des Pays-Bas, d’une part, a défini les directives Metamorfoze (cf. Van Dormolen 2012) qui ont été rééditées en avril 2019. La publication de la version 2 est prévue pour 2023. Le but était de définir des objectifs clairs pour la qualité des projets de numérisation de masse que les différents prestataires devaient respecter. Metamorfoze se décline en trois niveaux de qualité : « Metamorfoze Full », « Metamorfoze Light » et « Metamorfoze Extra Light ». Pour la reproduction de photographies, seul le niveau de qualité « Metamorfoze Full » est recommandé. À l’intérieur des niveaux de qualité, les directives varient en fonction des formats des originaux. Les Archives nationales américaines, d’autre part, ont publié les directives FADGI (cf. Bibliographie en bas) qui se basent sur un système d’étoiles. Selon elles, les documents photographiques doivent être numérisés avec une qualité de 3 à 4 étoiles au minimum.

Espace colorimétrique

Dans le cadre d’un processus de numérisation, il est très utile de distinguer le « codage des couleurs » de la « reproduction des couleurs ». On parle de codage des couleurs au cours du processus de numérisation, c’est-à-dire que toutes les couleurs et valeurs de luminance sont converties de manière appropriée dans un fichier numérique. En règle générale, il est possible de coder beaucoup plus de couleurs dans un fichier numérique qu’il n’est possible d’en afficher à l’écran (reproduction des couleurs). Un fichier numérique est constitué de 0 et de 1 qui ne sont cependant pas visibles. Pour représenter un fichier visuel, il faut un espace colorimétrique comme cadre de référence afin d’interpréter correctement les valeurs RVB. L’espace de couleur standard pour les applications web, sRVB, est trop petit pour une reproduction fidèle des couleurs et ne convient donc pas. Les fichiers master de numérisation doivent être sauvegardés dans des espaces colorimétriques plus grands tels qu’Adobe RVB (1998) ou eciRGB_v2. Il faut toutefois garder à l’esprit que la plupart des écrans ne peuvent généralement pas afficher beaucoup plus de couleurs que le sRVB en raison de leur équipement, ce qui est certes ennuyeux, mais pas si grave. La qualité de l’image n’est pas évaluée à l’écran par l’œil humain, mais mesurée dans un programme graphique à l’aide d’une pipette numérique de couleur et comparée avec les valeurs cibles de la mire de couleurs. Il est en effet important que l’information sur les couleurs soit correctement disponible dans le fichier. Elle peut ensuite par exemple être reproduite lors de l’établissement d’impressions de grande qualité.

Lors du processus de numérisation, il est important que les informations relatives à la chrominance et à la luminance de la photographie soient converties dans un contenant suffisamment grand, afin que tout puisse être enregistré sans perdre des nuances subtiles. À cette fin, des fichiers avec 16 bits par canal couleur sont utilisés pour certains types de documents comme les négatifs. Il est possible de convertir ces fichiers master en fichiers plus petits de 8 bits et sRVB pour des présentations sur le web. Les couleurs sont encore belles à l’écran, mais ces dérivés réduits ne pourraient servir ni à l’impression ni à un traitement ultérieur.

Master d’archivage et dérivés

La plupart du temps, un seul fichier image ne suffit pas à satisfaire toutes les exigences souhaitées. Pour atteindre les objectifs potentiels tels que l’administration, la transmission, la sauvegarde, la documentation ou la reconstruction des fonds photographiques, il est donc parfois nécessaire d’établir deux fichiers visuels ou plus. Les critères qualitatifs des Recommandations Memoriav concernent avant tout les fichiers master d’archivage. Différentes copies d’utilisation (dérivés) peuvent être établies à partir de ces derniers pour répondre à divers usages spécifiques. Les documents numérisés de masters d’archivage suivent d’autres règles plus strictes que les copies d’utilisation. La présentation ci-après passe en revue les plus importantes.

Fichiers master d’archivage

Les exigences décrites ci-dessus s’appliquent au fichier de master d’archivage qui se doit d’être le plus fidèle possible à l’original en ce qui concerne les informations d’image, la densité d’information, le respect des valeurs tonales et chromatiques. L’étalonnage du système de prise de vue permet d’obtenir la fidélité chromatique et tonale. Les centres de compétences Metamorfoze ou FADGI mettent à disposition des directives accessibles au public pour la numérisation du patrimoine culturel, afin de vérifier les images numériques à l’aide d’une charte de couleur comme le ColorChecker Digital SG. Il est ainsi possible de vérifier différents paramètres de numérisation à l’aide de logiciels spécifiques ou de plates-formes en ligne. Les échelles de gris et de couleurs qui sont affichées avec l’objet peuvent également être exploitées conformément à ces directives et fournissent aux futurs utilisateurs et utilisatrices des images une référence mesurable pour vérifier leur qualité. La résolution donne des indications sur la densité d’information de l’image numérique. Lors de la numérisation ou de la reproduction photographique, il est essentiel de numériser dès le début dans la résolution finale prévue pour le fichier master d’archivage afin de ne plus avoir besoin d’interpoler les données après enregistrement (c’est-à-dire de les convertir dans la résolution souhaitée). En effet, chaque modification ou traitement des données implique une perte d’information. C’est pour cette même raison qu’il ne faut pas redresser les images enregistrées ni en corriger la perspective. Seules les rotations d’un quart de tour sont permises, les pixels n’étant pas convertis (interpolés), leur intégrité est préservée. Comme le fichier master doit contenir si possible les mêmes informations d’image que l’original, les retouches ou les corrections de couleur ne sont pas permises. La seule exception serait l’élimination de la poussière qui s’est déposée sur le tirage ou la pellicule lors de la numérisation. Toutefois, il est souvent difficile de distinguer ces grains de poussière des particules de poussière incrustées dans l’objet. Il faut absolument éviter d’utiliser des filtres antipoussière et antirayures automatiques.

Les numérisations de masters à partir de négatifs devraient également être laissées dans leur forme d’origine, c’est-à-dire qu’il ne faut pas les inverser en positif ni les interpréter. Dans le cas des diapositives, il faut se conformer à la colorimétrie de l’état de l’original au moment de la numérisation, même pour celles présentant de fortes altérations de couleurs.

Les fichiers master d’archivage sont destinés à l’archivage numérique à long terme. Leur intégrité et leur longévité doivent être garanties après le dépôt de l’image dans l’archivage à long terme. Étant donné que les appareils numériques de prise de vue génèrent des données visuelles au format RAW, les fichiers master d’archivage doivent absolument être convertis avant leur dépôt en un format recommandé pour l’archivage à long terme (TIFF / JPEG2000, cf. bibliographie à la fin de ce chapitre). Les formats de données brutes sont dans la plupart des cas des formats d’image propriétaires développés par les fabricants d’appareils photo et ne sont donc pas adaptés pour une sauvegarde durable de l’image. Seul le format DNG convient à la sauvegarde sur le long terme de données brutes.

Copies d’utilisation

Une fois qu’un fichier master est stocké en lieu sûr, il est possible d’établir à partir de ses copies autant de dérivés souhaités pour les usages les plus divers, que l’on souhaite par exemple découper des numérisations de tirages pour cacher l’échelle de couleur ou générer des fichiers JPEG avec une résolution moindre qui facilite l’utilisation. Des retouches et autres interventions sur l’esthétique ou les informations d’image sont en principe également autorisées tant que celles-ci demeurent transparentes, par exemple dans les extensions des images ou les métadonnées.

L’établissement de dérivés à partir de négatifs revêt une importance particulièrement grande puisque les données brutes générées ne deviendront des documents visuels utilisables qu’après inversion et interprétation. Le traitement numérique de l’image équivaut aux travaux accomplis dans la chambre noire à l’époque analogique : définir la luminance des images, gérer les contrastes, influencer au cas par cas la restitution de la lumière et des ombres afin d’obtenir des copies d’utilisation positives esthétiquement réussies. Comme il n'existe pas de références et de règles fixes pour ces travaux d’édition, des questions complexes, et non des moindres, se posent quant aux bonnes pratiques déontologiques. Si un fonds contient aussi bien des tirages que des négatifs d’une ou d’un photographe, il pourrait être judicieux de prendre modèle sur l’esthétique des tirages originaux d'époque (vintage print). Il s’agit dans tous les cas de veiller à ne pas perdre le caractère analogique des photographies. Dans le cas de diapositives, le traitement et la création ultérieure de dérivés pourraient consister en priorité à reconstruire les couleurs perdues ou à éliminer des taches de couleur.

Netteté numérique

Dans la foulée du tournant numérique, nos yeux se sont progressivement habitués à une meilleure résolution des écrans et des images, à une plus grande netteté et à des contrastes plus prononcés. Si nous regardons des tirages originaux d'époque du 20e siècle avec nos habitudes visuelles actuelles, nous avons tendance à les trouver flous et ternes. La notion de netteté doit donc être abordée avec la sensibilité nécessaire lorsqu’il est question de rétronumérisation de photographies historiques.

Beaucoup de scanners et d’appareils numériques de photographie disposent d’automatismes appliquant des filtres de netteté lors des prises de vue sans que ces réglages soient explicitement souhaités. Les filtres de nettetés constituent pourtant en principe une fonction destinée à modifier et à manipuler l’information d’image originale. L’impression de netteté accrue est obtenue en augmentant le contraste entre les différents pixels adjacents. En particulier les négatifs granuleux peuvent donner une impression de netteté excessive, de déséquilibre et d’hyperréalité, mais le caractère analogique des photographies est complètement perdu. C’est la raison pour laquelle il ne faut faire usage des filtres de netteté qu’avec parcimonie et en connaissance de cause. Ce ne sont pas nos habitudes visuelles modernes qui devraient déterminer l’apparence esthétique de l’image numérique, mais bien la comparaison avec les tirages analogiques de l’époque concernée.

Ill. 3a : Exemple netteté excessive d'un négatif numérisé et interprété. Image : Fotostiftung Schweiz
Ill. 3b : Exemple de netteté adaptée au média. Image : Fotostiftung Schweiz

Recommandations (exigences minimales)

Masters d’archivage opaques (tirages n/b et couleur, procédés permettant de produire des pièces uniques, etc.)

Format original

Résolution* (pixel par pouce)

Mode/espace couleur

Profondeur de couleur (ou de bit) par canal

Format de fichier/compression

< A7

1000 ppp

Adobe RVB 1998

eciRGB_v2

8 ou 16 bits

TIFF/non compressé ou LZW

JPEG2000/compression sans pertes

A7 à A5

600 ppp

Adobe RVB 1998

eciRGB_v2

8 ou 16 bits

TIFF/non compressé ou LZW

JPEG2000/compressions sans pertes

A5 à A3

400 ppp

Adobe RVB 1998

eciRGB_v2

8 ou 16 bits

TIFF/non compressé ou LZW

JPEG2000/compression sans pertes

A3 à A2

300 ppp

Adobe RVB 1998

eciRGB_v2

8 ou 16 bits

TIFF/non compressé ou LZW

JPEG2000/compression sans pertes

> A2

200 ppp

Adobe RVB 1998

eciRGB_v2

8 ou 16 bits

 

TIFF/non compressé ou LZW

JPEG2000/compression sans pertes

* La résolution se réfère toujours à la taille originale du document visuel analogique ainsi que du fichier numérique et ne doit pas être modifiée après numérisation, c’est-à-dire ne pas être interpolée. Il s’agit de recommandations pour la résolution minimale. Bien entendu, il est possible de choisir une résolution plus élevée si c’est techniquement réalisable et que cela paraît judicieux.

Masters d’archivage transparents (négatifs, diapositives, procédés sur plaques de verre, etc.)

Format original

Résolution* (pixel par pouce)

Mode/espace couleur

Profondeur de couleur (ou de bit) par canal**

Format de fichier/compression

Petit format

24 x 36 mm

4800 ppp

 

Adobe RVB 1998 eciRGB_v2

 

8 ou 16 bits

TIFF/non compressé

JPEG2000/compression sans pertes

> 24 x 36 cm

< 6 x 6 cm

3000 ppp

Adobe RVB 1998 eciRGB_v2

 

8 ou 16 bits

TIFF/ non compressé

JPEG2000/ compression sans pertes

Format moyen

6 x 6 cm

6 x 7 cm

6 x 9 cm, entre autres

2000 ppp

Adobe RVB 1998 eciRGB_v2

 

8 ou 16 bits

TIFF/ non compressé

JPEG2000/ compression sans pertes

Grand format

4 x 5″

10 x 13 cm

1200 ppp

Adobe RVB 1998 eciRGB_v2

 

8 ou 16 bits

TIFF/non compressé

JPEG2000/ compression sans pertes

> 4 x 5″

> 10 x 13 cm

800 ppp

Adobe RVB 1998 eciRGB_v2

 

8 ou 16 bits

TIFF/ non compressé

JPEG2000/ compression sans pertes

* La résolution se réfère toujours à la taille originale du document visuel analogique ainsi que du fichier numérique et ne doit pas être modifiée après numérisation, c’est-à-dire ne pas être interpolée. Il s’agit de recommandations pour la résolution minimale. Bien entendu, il est possible de choisir une résolution plus élevée si c’est techniquement réalisable et que cela paraît judicieux.

** Les fichiers master d’archivage devraient être codés en 16 bits afin de garantir un traitement optimal des données visuelles numériques. Pour obtenir de bons dérivés d’utilisation, les données doivent être considérablement manipulées au niveau des contrastes dans le cas de matériaux négatifs en particulier. C’est pourquoi il est utile de pouvoir recourir à suffisamment d’information d’image.

Bibliographie et liens

Le format TIFF s’est imposé comme standard pour l’archivage numérique à long terme. Les métadonnées techniques nécessaires à l’affichage sont définies dans le standard TIFF 6.0 baseline. Voir à ce sujet :

  • ETH-Bibliothek, Forschungsdatenmanagement und Datenerhalt: ETH Data Archive. Formatempfehlungen für Bilddaten für die digitale Langzeitarchivierung (en allemand). Online, consulté le 20.9.2023.

En ce qui concerne JPEG2000, les paramètres choisis devraient être documentés. Voir à ce sujet :

  • Library of Congress, Office of Strategic Initiatives; Robert Buckley, NewMarket Imaging : Using Lossy JPEG 2000 Compression For Archival Master Files, version 1.1, 2013. Online, consulté le 20.9.2023.

  • Clark, Richard: JPEG 2000 standardization, A pragmatic viewpoint. Online, consulté le 20.9.2023

  • Bibliothèque et Archives nationales de Québec; Bibliothèque nationale de France; Musée canadien de l’histoire: Recueil de règles de numérisation, 2014. Online, consulté le 20.9.2023

  • Deutsche Forschungsgemeinschaft: DFG-Praxisregeln Digitalisierung. Online, consulté le 20.9.2023

  • FADGI, Federal Agencies Digital Guidelines Initiative: Technical Guidelines for Digitizing Cultural Heritage Materials, 2016. Online, consulté le 20.9.2023

  • Van Dormolen, Hans; Metamorfoze, National Programme for the Preservation of Paper Heritage: Metamorfoze Preservation Imaging Guidelines, Image Quality, version 1.0, January 2012 . Online, consulté le 20.9.2023.

Dernières modifications: Septembre 2023


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