L’identification des films peut être une opération particulièrement stimulante et complexe, selon l’état du document que l’on a sous les yeux, cette copie que sa condition singulière rend nécessairement dissemblable à toute autre copie du même film.
L’entreprise implique parfois de suivre de multiples pistes, qui vont de ce qui est déchiffrable sur le support lui-même à l’histoire de son usage et de sa transmission, en passant par ce que montre l’image ou ce que dit le texte (quand texte il y a).
Elle mobilise des compétences particulières que l’on ne maîtrise jamais seul et que l’on ira solliciter ailleurs, auprès d’autres archives, chez des historiens ou des collectionneurs, chez des spécialistes parfois les plus inattendus (ce qui ne va pas sans quelque inventivité).
Quand il s’agit d’images dites documentaires, c’est en quelque sorte l’encyclopédie qui est convoquée, sans compter la familiarité historique et culturelle plus ou moins grande que tout enquêteur entretient avec l’objet qu’il a devant lui. Il y faut aussi du flair ou une certaine astuce.
Les conclusions de l’enquête vont bien au-delà de la satisfaction d’avoir enrichi une notice de catalogue par des informations qui n’avaient pas été établies au moment du versement de la copie ou qui avaient été laissées lacunaires parce qu’on n’y est pas retourné.
Elles aident à établir des urgences quand on planifie tirages ou restaurations. Elles donnent une première assise à la documentation du film si l’on programme ou édite. Elles fournissent au chercheur une base de départ. Selon la qualité des questions posées et le degré de précision recherché, elles réduisent les raisons de revenir à la copie conservée.
Avec Ein Schweizer Bilderbogen… in den Französischen Alpen, un titre qui réserve une surprise et que l’on pourrait traduire par la « La Suisse en images… dans les Alpes françaises », David Pfluger (Bâle), chercheur dans la domaine de la préservation des supports audiovisuels, membre du groupe de compétence film de Memoriav, nous raconte le cheminement de ce qui fut une ré-identification.
La chose n’est pas rare, surtout au sein d’archives qui conservent des films étrangers. L’éloignement du sujet ou de l’origine peut faire qu’ils sont laissés dans une zone inactivée, jusqu’à ce qu’une incitation extérieure vienne sortir tel ou tel élément de son sommeil.
Pour une raison particulière, ce fut le cas de la copie conservée en Allemagne sous le titre apocryphe de Schweizer Bilderbogen et que David Pfluger vint à examiner. Il en a restitué le titre original et identifié, de la manière que l’on lira, les lieux où nous mènent les travellings de ce travelogue, une production Pathé Frères de 1912 intitulée Excursion dans la vallée de la Vésubie.
Si peu réfutable que soit la démonstration, un léger doute en accompagne l’établissement. Ce sera l’objet d’un deuxième épisode.
Le film accompagne le texte. Merci à la Deutsche Kinemathek (Martin Körber) d’avoir accepté que Memoriav y donne accès sur Memobase et à David Pfluger pour la mise à disposition d’une copie numérique mise à la bonne cadence.
Roland Cosandey, février 2022
Voir LES VOIES DE L’IDENTIFICATION (2/2)