Aude Joseph (DAV, La Chaux-de-Fonds), Roland Cosandey (Vevey), octobre 2021
La filmographie neuchâteloise couvre à ce jour la période 1900-1970. Le Département audiovisuel (DAV) de la Bibliothèque de la Ville de La Chaux-de-Fonds se consacre depuis bientôt une vingtaine d’années à cette entreprise sans pareille en Suisse, dans le cadre de la mission de préservation des documents audiovisuelle qui lui est dévolue à l’échelle cantonale [1]. La documentation ainsi établie accompagne et complète les films de la collection. Elle a suscité parfois la découverte matérielle de films décrits à partir de sources de deuxième main et jugés perdus.
La filmographie décrit un corpus de réalisations envisagées en raison des liens divers qu’elles entretiennent avec le canton. Elle le fait sous la forme de notices associant description et commentaire, complétées par divers index. Les deux volumes publiés, le premier consacré aux années 1900-1950, le second rendant compte des deux décennies suivantes, établissent la possibilité de dessiner des cartographies variables dans un ensemble de 471 entrées, alors que la base Flora URL y donne accès à l’unité [2].
En général, l’approche de ce genre de sources, et c’est particulièrement vrai quand la perspective documentaliste prédomine, considère marginalement ce qui ne relève pas du représenté — personnes, lieux, objets, circonstances filmés. Et l’usage que l’on fait de ce représenté se passe souvent de la forme de la représentation et du moyen lui-même. Or, si patrimoine il y a, c’est d’abord dans un “support” qu’il se matérialise et dans son histoire en tant qu’objet conservé – sa production, son usage, sa réception, sa transmission.
Le parti pris de la filmographie neuchâteloise tient à ceci : élaborer un outil de référence conçu de telle manière que si l’on veut le contenu de l’image — telle communauté juive à La Chaux-de-Fonds ou tel hiver à La Brévine, telle braderie annuelle ou telle opération chirurgicale, tel récit d’un malaise existentiel ou tel reportage sur l’absinthe, telle chaîne de production industrielle ou tel atelier artisanal, tel match de football ou telle course de côte — il faille en passer par une histoire qui est celle du cinéma, premier “lieu” d’où ces images tirent leur sens. C’est passer d’une perspective documentaliste à une approche archivistique.
Ce point de départ transparaît dans la conception de chaque notice et ses raisons font l’objet, d’un volume à l’autre, d’une présentation de la méthode. Ce sont ces présentations que nous donnons à lire ici en réunissant l’ensemble des textes qui décrivent, d’une période à l’autre, les conditions d’élaboration de la filmographie neuchâteloise.
Un volet de ce dossier comprend les introductions parues dans les deux tomes de la filmographie publiés en 2008 et en 2019. Elles ont fait l’objet d’ajustements mineurs et de quelques mises à jour dûment signalées.
Quelques leitmotivs caractérisent ces deux textes :
– L’ histoire du cinéma est au fondement de toute démarche filmographique.
– Ce qui est décrit n’est pas l’“Œuvre“, mais un objet matériel: la copie conservée ou sa trace dans les sources secondaires.
– Un film, qu’il soit dit de fiction ou documentaire, est de l’ordre du discours.
– La condition d’une bonne description est sa non-formalisation.
– Le commentaire n’est pas un lieu où s’exprime un jugement de valeur.
– La dimension critique est donnée par le compte-rendu de la réception des œuvres traitées.
– Toute information est référée à sa source.
Ces préalables n’ont évidemment rien d’absolu. Ils ont été établis pour la filmographie neuchâteloise, parce qu’ils correspondaient au statut d’archive de l’institution dont elle émane et aux exigences requises, en bonne méthode historique, pour l’approche d’une source première, en l’occurrence des films de toute catégorie retenus d’abord pour leur valeur documentaire.
A côté du rappel des principes méthodologiques, l’accent diffère d’une introduction à l’autre. En 2008, celle du premier volume, qui porte sur la période 1900-1950, considère au fond la chance que représente, pour l’historiographie générale du cinéma en Suisse, une filmographie à première vue si bornée, parce que si spécifiquement circonscrite.
En 2019, l’introduction du second volume, qui couvre cette fois deux décennies, 1950 à 1970, pose les jalons d’une historiographie locale du cinéma telle que la rend possible l’interprétation des films répertoriés et leur contexte.
La différence se perçoit à la forme du texte, originellement dénué de notes pour le premier, abondamment lesté de renvois pour le second. Mais la perspective est identique, qui suppose qu’il faut d’abord parler cinéma pour permettre l’usage de ces documents en connaissance de cause, qu’ils servent au plaisir de la spectatrice et du spectateur ou alimentent des recherches insoupçonnées. [3].
L’introduction de 2019 parle aussi de ce qui ne figure pas dans l’ouvrage, soit la place, inattendue jusqu’à sa prise en compte effective, de la production télévisuelle. Elle signale par conséquent l’extension nécessaire du champ filmographique pour cette période 1950-1970.
Cette extension fait l’objet de l’autre volet composant ce dossier. Les contributions mises en ligne ici sont inédites et paraissent avant même que la filmographie télévisuelle neuchâteloise soit elle-même accessible. Elles sont le fait de Laurence Gogniat, chargée de l’élaboration de cette filmographie pour les deux premières décennies de la production de la Télévision suisse romande (TSR).
Les considérations développées par Laurence Gogniat à propos de ce corpus, dont nous étions loin de soupçonner la richesse, prolonge la réflexion méthodologique qui nous tient à cœur, en montrant comment appliquer, ajuster ou modifier certaines exigences en fonction des propriétés de l’objet télévisuel, propriétés définies en termes de mode d’archivage et d’accès, de forme de production et de diffusion, de ressources documentaires.
La recherche a établi 1756 occurrences télévisuelles neuchâteloises, d’importance très variable. Ce corpus a entraîné la rédaction de 182 notices. L’importante contribution de Laurence Gogniat, Comment élaborer une filmographie télévisuelle cantonale : le cas de Neuchâtel, expose le cheminement, les conditions et les résultats de cette entreprise de longue haleine [4]. Complétée par un choix exemplaire de douze notices, l’ensemble illustre l’ampleur de ce champ nouveau et son intérêt pour une histoire des représentations audiovisuelles du canton de Neuchâtel comme pour une histoire des relations établies avec le canton par la TSR à l’échelle du programme.
Nous espérons bien que ces travaux auront quelque conséquence sur la recherche qui se développe depuis une quinzaine d’années à propos de la radio et de la télévision, comme sur la prise en compte d’un champ commun, sous certains aspects, à la télévision et au cinéma.
Ce dossier, à la fois démonstratif et réflexif, se veut aussi une contribution à l’approche cantonale que développe Memoriav, Association suisse pour la préservation du patrimoine audiovisuel, qui soutient dès le début la démarche du DAV, ses publications et ses restaurations.
Trois recensions du volume 2, provenant d’horizons critiques différents, témoignent de l’écho donné à la filmographie:
Remerciements
Les introductions de 2008 et de 2019 sont publiées avec l’accord des Editions Alphil, Neuchâtel. Nos vifs remerciements vont à leur directeur, Alain Cortat.
Les deux ouvrages peuvent être commandés à l’adresse suivante : https://www.alphil.com.
Notes