Qualifié de« grand imagier du champêtre réactionnaire » (Hervé Dumont), salué comme « le pionnier du cinéma romand »(Freddy Buache), Charles-Georges Duvanel (1906-1975) mérite d’échapper aux clichés et de trouver dans l’histoire du cinéma suisse une place qui reflète sa situation de façon plus approfondie et nuancée.
Dans le cadre d’un vaste recentrement de cette histoire sur l’économie réelle de la production nationale des années 1920-1960, soit sur l’industrie du film de commande, les travaux de Pierre-Emmanuel Jaques sont venus passablement enrichir la vision de ce cinéaste, à la fois caméraman, monteur, réalisateur et producteur. Auteur complet, il considérait le cinéma comme un bouleversement équivalant à celui qu’avait entraîné l’invention de l’imprimerie, et tantôt se qualifiait d’artisan du film, tantôt trouvait son modèle chez les grands peintres.
Homme d’images, féru de cartographie et de littérature (Maurras, Mistral, Ramuz), son curriculum vitae est riche : formé à l’école du journalisme cinématographique par Arthur-Adrien Porchet (Office cinématographique de Lausanne), associé au Ciné-journal suisse de 1923 à 1934, praticien de la neige, avec l’équipe d’opérateurs de L’arène blanche (J. O.d’hiver de 1928), puis seul en Himalaya avec l’expédition Dyhrenfurth en 1930, reconnu dès la fin des années 1920 par des hommes politiques conscients du rôle social et idéologique du cinéma (le conseiller fédéral catholique-conservateur Jean-Marie Musy, par exemple) et par les grandes institutions attentives à la “propagande“ par le film (CFF, ONST, OSEC, USC, CICR), producteur indépendant depuis 1934, co-fondateur de l’Association suisse des producteurs de film (1935), membre de la Chambre suisse du cinéma (1942-1963), puis de la Commission fédérale du cinéma (1963-1968), membre du comité de la Cinémathèque suisse dès 1967.
Dans les années 1940, Duvanel est aussi le seul cinéaste qui se soit exprimé régulièrement, en français et en allemand. Il défend tout particulièrement le documentaire et sa raison d’être économique et culturel, dans le contexte du petit marché helvétique, où il apparaît que le film dit de commande, en particulier s’il est au service de l’image du pays, devrait être encouragé en vue du développement d’une production nationale, plus que des longs métrages à la rentabilité aléatoire.
Durant de longues années en relation technique et économique avec le laboratoire genevois Cinégram pour l’enregistrement sonore, le montage et le tirage, Duvanel est l’auteur nommément crédité d’une vingtaine de réalisations entre 1928 et 1970, principalement des films courts, mais aussi un moyen métrage, Les Ailes en Suisse (1929, 837 m.), consacré au développement de l’aviation de ligne, et deux longs métrage, Pionniers (1936, 2050 m.) et Viribus unitis (1945, 1760 m.), deux fictions démonstratives sur le thème de la coopération.
Cette description signale des pistes, définit une manière de programme[1]. Quelle place y prend le présent ensemble ?
Nous profitons de l’opportunité offerte par la réédition en fac similé d’un ouvrage qui fut le produit de la passion bibliographique de Duvanel, cet Année vigneronne imprimé sur grand papier à 162 exemplaires, illustré par six tirages photographies provenant de son court métrage, L’Année vigneronne. Images de la Suisse romande, sorti la même année 1940.
Qu’un documentaire soit à l’origine d’un ouvrage pour happy few, voilà qui surprend dans un domaine où la proposition cinématographique est habituellement prolongée par une abondance de photographies destinées au grand public, dans la presse illustrée ou en livre au tirage rien moins que confidentiel (Mittelholzer en est l’exemple le plus parlant).
Le texte, qui est court, est celui du commentaire de L’Année vigneronne, qui dure quelque dix-sept minutes. Il est signé C. F. Ramuz. Alors au faîte de sa reconnaissance, l’écrivain travaillait à ses oeuvres complètes. Ni celles-ci, ni les suivantes ne retiendront cet écrit de commande, avant l’édition critique publiée de 2005-2013 par le Centre des littératures en Suisse romande (Université de Lausanne).
Par contre, le film est resté la plus appréciée des réalisations de Duvanel, celle qui circula le plus durablement, qui fut le plus souvent mentionnée quand il s’est agi de qualifier rétrospectivement le cinéaste, la plus étudiée aussi ces dernières années.
Cette réédition nous a entraîné à produire trois contributions pour servir à la connaissance du réalisateur.
La première fait l’inventaire des ressources archivistique documentant L’Année vigneronne, qui sont essentiellement liées à la conception du commentaire du film. Un accent particulier est mis sur les documents conservés par le Musée de la vigne, méconnus et inexploités jusqu’ici.
La question de la provenance y est abordée, incluant la source générale la plus riche à disposition des chercheurs, les Papiers Duvanel de la Cinémathèque suisse.
En complément, une bibliographie fait le point sur l’état des travaux consacrés à Duvanel et à la relation entretenue par Ramuz avec le cinéma.
– Charles-Georges Duvanel, C. F. Ramuz et L’Année vigneronne (1939-1940). Matériaux.
La seconde contribution donne accès à quelques états du commentaire de L’Année vigneronne, manuscrits et tapuscrits, et publie cinq lettres de Ramuz à Duvanel. Ces sources inédites permettent d’observer la manière dont Ramuz s’est conformé à la tâche, qui représente la seule contribution directe de l’écrivain à un film, et donnent quelques informations uniques sur la méthode de travail de Duvanel, par ailleurs fort peu documentées.
– C. F. Ramuz, Charles-Georges Duvanel, et L’Année vigneronne (1939-1942). Inédits.
Le troisième volet établit une édition critique des écrits, interviews et conférences de Duvanel, des années 1930 aux années 1960. Largement fondée sur les ressources des archives Duvanel conservées par la Cinémathèque suisse et sur la presse suisse disponible en ligne, elle en propose la lecture, au double sens du terme : lire et interpréter.
Le cinéma suisse des années 1930 à 1960 s’y dessine ainsi dans un certain éclairage.
Ce dossier doit son existence à de nombreux correspondants, à la collaboration soutenue de trois institutions et à l’aide aussi bienveillante que compétente de leurs collaborateurs : Musée vaudois de la vigne et du vin, Aigle; Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne; Cinémathèque suisse, Lausanne; Centre de recherches sur les lettres romandes (Université de Lausanne).
Notes
[1] L’étude de référence reste Pierre-Emmanuel Jaques, « Aspects documentaires : Charles-Georges Duvanel (1906-1975) », Décadrages (Lausanne), n°1-2, 2003, pp. 163-172. En ligne : https://doi.org/10.4000/decadrages.603.
Une filmographie critique de Duvanel fait encore défaut. Ses films sont conservés à la Cinémathèque suisse.
Charles-Georges Duvanel, L’Année vigneronne. Images de la Suisse romande (1940). (Vidéo d’accès sur Memobase.ch)
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Charles-Georges Duvanel, C. F. Ramuz et L’Année vigneronne (1939-1940). Matériaux.(PDF)
Roland Cosandey, éd., octobre 2023.
C. F. Ramuz, Charles-Georges Duvanel et L’Année vigneronne (1939-1942). Inédits.(PDF).
Roland Cosandey, éd., octobre 2023.
Charles Georges Duvanel, Ecrits, interviews, conférences. Une lecture. (PDF)
Roland Cosandey, éd., octobre 2023.